DE L’AMBITION

Philosophe, théologien, youtubeur et tiktokeur, FMP nous entraîne dans une réflexion aux côtés des penseurs grecs et des auteurs bibliques.

Voici un terme qui possède une réelle ambiguïté morale. Son étymologie latine ambire renvoie au fait d’aller auprès d’une personne pour la solliciter, que ce soit pour une faveur ou pour une requête. Aussi, il apparaît très vite que l’ambition relève d’un désir personnel à assouvir. Or les désirs sont par nature sujets aux déséquilibres et aux excès.

Les Grecs de l’Antiquité, pétris de mythologies souvent graveleuses, avaient pourtant une horreur des excès relatifs au désir. Le mythe d’Icare nous en est une preuve évidente.

Fils de l’architecte de génie Dédale, inventeur du labyrinthe contenant le Minotaure, il s’échappa de ce dit labyrinthe à l’aide d’ailes de plumes et de cire confectionnées par son père. Le seul interdit était de trop s’approcher du Soleil qui risquait de faire fondre la cire tenant les plumes. Icare, fasciné par sa capacité à voler toujours plus haut, fait fi du conseil de Dédale et s’envole vers l’astre du jour. La chaleur fait fondre la cire. Il est précipité dans la mer qui porte désormais son nom.

Ce mythe cherchait à mettre en garde les Grecs voulant s’élever plus haut que leur condition et voulant ainsi être semblables aux dieux. Nous sommes face à un cas typique d’hubris que le Larousse définit comme «tout ce qui, dans la conduite de l’homme, est considéré par les dieux comme démesure, orgueil, et devant appeler leur vengeance».

Être comme un dieu? Pour les familiers de la Bible cette phrase
devrait rappeler Genèse3.5 où elle est attribuée au serpent qui semble proposer une ambition démesurée
à Ève. Aussi c’est cette ambition qui peut perdre les Hommes.

Mais un être humain sans aucune ambition n’est-il pas comparable à la feuille morte se laissant porter par le courant du fleuve? Sans ambition l’Humanité n’aurait rien entrepris. Christophe Colomb n’aurait jamais découvert l’Amérique. Les chercheurs, explorateurs, artistes, politiques et religieux n’auraient rien amorcé s’ils ne visaient pas plus haut que leur condition. En somme, pour vivre, l’être humain se doit d’ambitionner, de désirer et d’être «mécontent» de sa condition. À l’opposé, le contentement est peut-être une des causes les plus fortes de la paralysie vitale.

“Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d’en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu. Affectionnez-vous aux choses d’en haut, et non à celles qui sont sur la terre.” Colossiens 3.1-2

Vouloir s’arrêter là où nous sommes peut devenir morbide et sclérosant. Sans compter que cela va contre toutes les lois du vivant. Ce dernier ne cesse d’évoluer et de se mouvoir en raison de son «désir». La plante pousse sans arrêt et produit son fruit avec toujours plus de quantité. L’animal croît et se reproduit suivant ses désirs légitimes. La personne humaine grandit, connaît et aime toujours davantage. C’est le sens de ce qu’a pu développer le philosophe grec du IVe siècle avant Jésus-Christ, Aristote. En effet, ce dernier mit en avant une vertu magnifique et singulière: la magnanimité. Ce mot latinisé a pour étymologie magnus, qui signifie grand ou large, et anima, esprit ou âme. La magnanimité est donc la grandeur d’âme. Pour Aristote, elle désigne spécifiquement les personnes capables de s’apprécier à leur juste valeur, et capables de désirer et de réaliser de grandes choses.

Cela s’oppose à deux attitudes: La première, nous en avons parlé, consiste dans un orgueil qui nous ferait désirer des choses qui nous sont disproportionnées. Il s’agit en réalité d’une grave illusion sur soi-même. La deuxième se nomme la pusillanimité. Elle consiste dans le fait de se déconsidérer de manière excessive, ceci entraînant une médiocrité dans les désirs. On parle aujourd’hui beaucoup de « manque de confiance en soi » sans se rendre compte qu’il peut s’agir d’un manque de grandeur d’âme.

Ce sont les chrétiens qui ont décuplé le sens de la magnanimité. Là où chez les Grecs il s’agissait de désirer les actes honorables (de la guerre ou de la politique), les chrétiens ont placé leur désir dans ce qui était divin. Paul déclare lui-même «Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d’en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu. Affectionnez vous aux choses d’en haut, et non à celles qui sont sur la terre.» Aussi ne craignons pas de placer nos désirs dans le ciel. Car contrairement à Icare, nous savons que ce n’est pas par des ailes faites de cire et de plumes que nous allons vers le ciel, mais en nous plaçant à l’ombre d’une croix, seule échelle véritable entre Dieu et les Hommes.

François-Marie Portes, Docteur en philosophie

Author: Matthieu Arnera