Claire Oppert, violoncelliste reconnue, est aussi pédagogue et art- thérapeute musical. Spécialisée dans l’accompagnement de personnes autistes, atteintes d’Alzheimer et en soins palliatifs, elle est l’auteure du livre traduit en plusieurs langues “Le pansement Schubert”, primé par,le Prix Littéraire des Musiciens en 2021.
Depuis toute petite, je garde en moi le rêve d’allier le monde de l’art avec le monde du soin. J’ai d’ailleurs longtemps hésité entre la médecine et la musique. J’ai d’abord choisi la musique en essayant de mettre toutes mes forces dans une recherche d’excellence. À l’âge de 14 ans, j’ai donné mon premier concert à l’hôtel de Noailles à St-Germain-en- Laye et il y avait dans le public une femme, de toute évidence malade car elle était pâle et portrait un turban. Elle est venue vers moi après que j’ai joué et m’a dit : “si vous aviez été médecin, vous m’auriez guérie.” Pour moi ,ce fut l’intuition fondatrice que la musique peut prendre soin et aller chercher en chacun de nous une partie “non malade”, une partie intacte de notre être.
À mon retour de Moscou où j’ai étudié, je suis allée rencontrer Howard Buten qui est à la fois écrivain, psychologue clinicien spécialisé dans l’autisme et clown célèbre! Il a été mon guide et mon inspirateur. Howard s’intéressait aux “cas lourds” de l’autisme : il rêvait de créer pour eux un monde où leur violence ne serait pas expérimentée comme telle et où l’art aurait une place centrale. Il m’a fait confiance et nous avons pu expérimenter ensemble comment la musique pouvait apaiser l’agressivité chez eux. Plutôt que d’envisager la relation avec les autistes de manière thérapeutique, Howard nous invitait à mériter leur attention et à mettre en jeu notre vulnérabilité. C’est lui qui m’a révélé la possibilité d’ouvrir des brèches, de traverser le “mur de verre” (c’est le titre de l’un de ses derniers ouvrages).
À partir de là, j’ai multiplié mes incursions dans les maisons de retraite, je suis allée aussi en soins palliatifs, dans les prisons, auprès d’enfants atteints de troubles cognitifs. J’avais l’intuition profonde que des murs, il y en a beaucoup moins dans ces lieux-là, beaucoup moins que dans les salles de concert où les gens sont bien habillés et attendent sagement avec leur programme !
Plus j’avance dans la vie, moins j’ai de certitudes mais ces multiples rencontres m’ont beau- coup appris. Elles ravivent aussi ma conscience de notre finitude. La vie a une valeur suprême, même sur son lit de mort. Ma mère, avant de mourir, disait avec humour : “Je verrai bien si tout ça c’est vrai !” On ne sait pas grand-chose de ce qui se trouve de l’autre côté, mais on sait qu’on doit tous y aller. Il se trouve que j’ai le privilège d’avoir un violoncelle pour accompagner quelque chose que je ne maîtrise pas. J’ai aussi la grâce de savoir que je suis à ma place de cette manière.
Entretien réalisé par Isabelle Coffinet.