Si certains métiers ont, de tout temps, imposé aux couples une vie commune par intermittence, je pense par exemple aux marins et aux militaires, cette situation a tendance à devenir plus répandue et ceci pour diverses raisons.
Le contexte de la mondialisation entraîne les entreprises à couvrir des secteurs géographiques de plus en plus vastes et à faire voyager leurs cadres d’un lieu à l’autre à travers les pays et parfois même à relier les continents à un rythme vertigineux. Les absences occasionnées varient : quatre jours par semaine, trois semaines par mois… D’autres entreprises délocalisent et enjoignent à leurs salariés de rejoindre un nouveau lieu de travail sans tenir compte de la faisabilité d’un déménagement familial. Beaucoup de couples vivent alors avec un des deux membres absent du dimanche soir au vendredi soir suivant.
Trouver deux emplois en même temps lors d’une mutation relève du tour de force ou du coup de chance. Par sécurité ou par réalisme économique, il faut parfois que l’un des deux reste dans la ville pendant que l’autre pose les bases du nouveau lieu d’implantation de la famille. Pour les plus jeunes, ce sont les fins d’études, les stages ou les premiers emplois qui les conduisent à s’expatrier pour 6 mois ou un an. Les premiers temps de leur vie amoureuse sont donc marqués par cette situation de vie à distance.
Si certains moments particuliers peuvent être l’occasion de romantisme et d’émotions fortes, le vécu quotidien des couples à distance n’est pas facile. Pour celui qui part, le passage de la vie en couple ou en famille à la vie en Solo plonge dans une autre réalité : le travail devient l’essentiel qui mobilise son énergie et ses pensées. Les temps libres sont rares car ils ramènent à la solitude et au manque des personnes aimées. Celui qui reste fait lui face à un paradoxe : la continuité apparente de sa vie avec pourtant la nécessité de fonctionner différemment quand le conjoint est là et qu’il faut lui laisser sa place ou quand il n’est pas là et qu’il faut parer à tout.
L’un est face à deux univers parallèles qui l’obligent parfois à faire un grand écart mental, tandis que l’autre garde ses repères habituels. Celui qui reste peut apprécier -ou pas- de rester dans son confort de vie et de bénéficier de ses appuis relationnels qui engendrent un sentiment de sécurité. Celui qui voyage peut prendre plaisir – ou pas – à découvrir d’autres lieux, d’autres gens, d’autres cultures et apprécier différemment l’anonymat induit par un séjour ponctuel. Accepter l’altérité des vécus et des ressentis individuels est une base indispensable à laquelle il faudra souvent revenir. On ne peut savoir à l’avance lequel des deux sera le plus en souffrance ou le plus épanoui. Chaque situation est unique ainsi que les caractères des époux.
Parmi les difficultés rencontrées, nommons la fatigue car l’un comme l’autre portent davantage de poids : l’un les trajets, l’autre l’intendance du foyer à faire tourner seul(e).
Les frustrations peuvent s’accumuler : frustration affective, frustration parentale de voir son enfant grandir sans soi, frustration sexuelle, frustration de ne pas réussir à faire tout ce que l’on avait coutume de faire lorsqu’on était ensemble…
Nommons aussi les peurs : derrière les inquiétudes précises ou les irritations éventuelles se cachent des peurs plus profondes comme celle de l’abandon. Est-ce que l’autre risque de me mettre de côté, de me trahir ou de m’oublier ? Si une part de cette peur est irrationnelle, il y a bien un risque d’éloignement entre les conjoints qui demande pour le prévenir une certaine vigilance.
Que mettre en place pour vivre au mieux cette période, sans dégâts relationnels ?
C’est ce que nous voulons voir ensemble en distinguant 3 phases : avant, pendant, après.
Avant
- Poser ensemble ce choix de vie avec autant que possible un vrai accord de principe des deux et prévoir ensemble ses échéances.
- Être clair l’un avec l’autre sur le projet : partager précisément les informations concernant les durées d’absence et fixer les dates et heures de retrouvailles.
- Réfléchir ensemble aux moyens de communications que l’on aimera utiliser pour rester en contact et la fréquence d’utilisation.
- S’offrir un ou l’autre objet-substitut, qui portera symboliquement une présence : un cadeau, un vêtement, une plante, un bijou, un livre…
- S’intéresser à la situation que l’autre vivra, regarder des photos, prendre ensemble des informations sur la région…
- En même temps, éviter de donner l’impression de vouloir tout savoir et tout contrôler. La relation perdurera sur la base de la confiance, et non sur celle de la surveillance.
Pendant
- Après les instants de tristesse inévitables lors de la séparation, chercher à trouver un équilibre personnel en évitant de cultiver l’amertume voire la rancune contre les facteurs ayant conduit à la situation.
- Développer des facultés d’adaptation pour gérer « le manque », en innovant.
- Apprendre à se mettre à l’écoute de l’autre en profondeur pour utiliser au mieux les temps d’échange.
- Décider sciemment de mettre de côté les sujets de conflits non indispensables, les agacements et autres attitudes qui envenimeraient les rapports à distance.
- Quand un quiproquo apparait, un désaccord surgit, une tension grandit, accepter d’abord de prendre du recul pour retrouver son calme ; ensuite reprendre la relation rapidement sans laisser passer des jours de silence.
- Choisir et préparer une surprise à son conjoint : le temps en solitaire permet de mener à bien un ouvrage. En y travaillant, on se réjouit par avance du plaisir que l’on apportera à l’autre.
- Pratiquer la vision simultanée d’un film ou la lecture simultanée d’un livre pour « être ensemble ».
- Développer différents supports de contacts grâce aux nouvelles technologies mais aussi peut-être retrouver les courriers ou les poèmes, contacts moins immédiats mais plus réfléchis.
- Si possible, visiter pour un week-end le cadre de vie de celui qui vit au loin afin de mieux pouvoir ensuite imaginer et comprendre sa réalité quotidienne.
- Profiter de ce temps d’éloignement pour mettre en œuvre certaines bonnes résolutions d’un changement personnel, d’une mauvaise habitude, d’un trait de caractère…
Après
- Prévoir un temps d’intimité à deux de retrouvailles lors du ou des retours, un temps à part, sans entrer directement dans des choses à faire ou d’autres personnes à rencontrer.
- Accepter qu’il y ait un décalage entre les partages vécus par téléphone et la rencontre en réel. Un temps d’adaptation est souvent nécessaire pour se retrouver l’un l’autre.
- Redéfinir en souplesse mais de façon explicite les rôles de chacun pour les tâches quotidiennes et les responsabilités parentales.
- Cultiver l’indulgence et la patience avec soi et avec l’autre face aux ambivalences émotionnelles lorsque tristesse et joie se mélangent par exemple.
- Veiller à ne pas avoir trop d’attentes pour les temps de courtes retrouvailles. Rattraper le temps perdu est un peu une illusion et se mettre sous pression dommageable.
- Refuser de « faire les comptes » dans un esprit de rivalité : qui en a fait le plus ? Qui est le plus fatigué ou le plus à plaindre ? Celui qui revient veillera à ne pas « juger » celui qui est resté et n’a peut-être pas réussi à mener à bien tous les projets familiaux. Il proposera de reprendre une partie des responsabilités plutôt que de faire des reproches.
L’enjeu de la vie à distance est pour le couple de sortir grandi de cette expérience plutôt que meurtri. Le défi est donc de garder une grande attention à la qualité de la relation amoureuse de façon incarnée. Pour nourrir la complicité, volonté et imagination seront bienvenues.
Pour certains couples, la vie à distance est une épreuve passagère, pour d’autres une réalité durable. Certains s’en accommodent assez bien, pour d’autres cela reste une souffrance. C’est à la mesure de son vécu que chaque couple pourra prendre ses responsabilités pour éventuellement mettre un terme à cette situation. Ne pas croire qu’« il n’y a pas d’autre solution », refuser de se soumettre passivement à cette fatalité du « on n’a pas le choix », c’est aussi parfois avoir l’audace de quitter un système toxique. La responsabilité des époux est de savoir à temps donner priorité à leur relation, quitte pour l’un à refuser une énième promotion ou pour l’autre à déménager à son tour.
Pasteur Nicole Deheuvels
Conseillère Conjugale et Familiale
Directrice du Département
Solos-Duos de La Cause