DANS LE NOIR UNE NOUVELLE VISION

Les restaurants “Dans le Noir” : une vision prophétique laïque pour l’inclusion ?

Dans un monde où la vue domine “Dans le Noir” propose une expérience culinaire dans l’obscurité totale. Vous laissez les téléphones, les montres et autres objets connectés dans un casier à l’entrée. On vient vous chercher pour vous guider dans la salle à manger, totalement obscure, où vous allez passer 90 minutes en aveugle. Votre serveur se débrouille très bien parce qu’il a plis d’expérience que vous dans ce noir total, et pour cause, il est aveugle. Vous percevez l’espace différemment, vous vous demandez quelle est la taille de la pièce. Vous entamez votre assiette avec plus d’attention que d’habitude parce que c’est à vous de deviner ce qu’il y a dedans. Vous vous rappelez que votre verre n’est pas loin devant vous, attention à ne pas le renverser quand vous cherchez la corbeille à pain !

Bien plus qu’un simple repas: une aventure sensorielle, un défi social et un message prophétique pour l’inclusion.

Créée par Édouard de Broglie, un entrepreneur déterminé et pas vraiment limité dans ses perspectives, cette initiative o re bien plus qu’un simple repas: c’est une aventure sensorielle, un défi social et un message prophétique pour l’inclusion. Les non-voyants deviennent guides des voyants. C’est marrant, c’est bon, et ça sensibilise, via une expérience unique, au monde du handicap visuel. Aujourd’hui, la franchise compte 13 établissements dans 9 pays et emploie plus d’une centaine d’aveugles qui représentent plus de 50% de son personnel.

LES MURS NE SONT PAS UNIQUEMENT LÀ OÙ ON LES VOIT…

Les restaurants Dans le Noir c’est une “vraie boîte avec des emplois, parce que dans les associations, on a de très belles idées, mais pour les développer, c’est pas toujours ça”, nous dit Édouard de Broglie. Il dit ce qu’il pense filtre le patron… Sa fierté est d’avoir créé un business modèle sans aides, sans subventions, un modèle reproductible dans n’importe quel pays, même le plus libéral. Il embauche des aveugles ? “Oui mais ce n’est pas de la charité, dans le noir, ils sont juste bien meilleurs que les autres…” poursuit l’entrepreneur.

Il y a des cultures où les personnes porteuses de handicap sont encore stigmatisées et rejetées. Espérons que nous avons dépassé ce stade ! Mais cette entreprise invite aussi à questionner un modèle où les handicapés sont systématiquement des aidés ou des occasions de bonnes œuvres pour des bien- portants. La personne valide ne peut-elle pas être guidée par une personne handicapée ? Un business modèle rentable où on embauche des personnes pour leurs compétences, c’est une arme puissante dans le combat pour la dignité des personnes handicapés. Peut-être que cela ne marche pas pour tous les handicaps ou pour tous les degrés de handicap, mais… l’interpellation mérite d’être entendue.

L’OBSCURITÉ ENRICHISSANTE

Dans le noir, les yeux ne servent plus à rien. Il faut se fier à son toucher, écouter autrement, goûter différemment. Dans cette nouvelle expérience de vulnérabilité, on apprend à ralentir, à chercher l’information, perce- voir par un autre biais, et puis on se laisse aider aussi… Pour une personne voyante, le noir o re une expérience de sur-stimulation sensorielle où elle peut réaliser sa sous-utilisation des différents sens en temps normal. C’est un chemin vers une expérience empathique profonde. On comprend mieux pourquoi des aveugles ont illuminé l’histoire de la musique, pourquoi des personnes avec un handicap ont développé des stratégies de compensation et découvert de nouvelles techniques…

L’enjeu pour chacun de nous : découvrir nos angles morts, nos préjugés, nos besoins d’être complétés, guidés… Alors ok, on sort souvent cette phrase à toutes les sauces, mais voilà : “On ne voit bien qu’avec le cœur ” (Saint- Exupéry) !

Julien Coffinet, Gastronome inclusif

Author: Matthieu Arnera