A QUEL PRIX ?

Marie-Christine Carayol a accepté la mission d’aider les responsables d’Église et organisations associatives à travailler ensemble. Elle déploie des compétences d’accompagnement, de sociologie, de psychologie et de stratégie pour libérer l’intelligence collective.

VOIR GRAND, À QUEL PRIX ?

Nous consacrons une grande partie de notre existence à satisfaire nos besoins fondamentaux tels que la sécurité, l’appartenance, la reconnaissance et l’accomplissement. L’Église se présente comme un terrain propice pour répondre simultanément à ces besoins, surtout si elle est grande, fonctionnelle et visible.

Mon objectif ici est de sensibiliser à un aspect qui peut facilement passer inaperçu quand devenir une «grande Église » devient une fin en soi.

Pour favoriser une croissance significative, et ainsi répondre à son rêve d’Église idéale, il est souvent nécessaire pour le pasteur de s’associer à des individus aux compétences complémentaires. Or la maîtrise
d’un savoir et d’une expertise particulière ainsi que la maîtrise de la communication et des informations donnent une place prépondérante à ceux qui en sont détenteurs.

La personne qui est capable de résoudre des problèmes cruciaux dans une organisation (finances, outils numériques et techniques…) dispose d’une position stratégique, car c’est d’elle que dépend la bonne marche de l’organisation. Or il peut arriver que les désirs de toute-puissance soient activés chez une personne qui se sent indispensable.

« Car personne n’a fait complètement le deuil de sa toute puissance. Cette ambition perverse rôde discrètement en chaque personne : dans les rêveries où l’on s’imagine posséder des pouvoirs, dans
les échanges avec autrui où l’on veut imposer ses idées ou projets, dans les croyances quand on est certain que les siennes sont plus véridiques ou meilleures que les autres ; mais cela reste discret et le plus souvent bien caché, parce que ces désirs sont jugés inacceptables par la conscience. Les désirs de toute puissance, comme les désirs de violence, attendent cependant une occasion favorable de s’exprimer de manière plus légitime1. »

TOUTE-PUISSANCE DANS L’ÉGLISE, DE QUOI PARLE-T-ON ?

Le concept de toute-puissance est emprunté à la psychanalyse. La personne ne se perçoit pas telle qu’elle est mais telle qu’elle a envie d’être. Elle vit dans l’illusion de son moi-idéal.

Édith Tartar-Goddet a distingué trois caractéristiques principales chez la personne en toute-puissance dans l’Église :

• Elle se croit omnisciente. Elle se pose comme référente, elle sait ce qui est bon, elle brille et se montre ultra-dévouée. Elle ne doute pas.

• Elle se croit omnipotente. Elle croit en ses qualités et capacités. C’est elle qui impose les règles et les lois pour les autres, mais pas pour elle-même.

• Elle est omniprésente. Elle participe à tout, donne son avis sur tout, sait tout ce qui se passe, est ultra-disponible, se rend indispensable pour mieux diviser.

QUAND NOUS FAVORISONS L’EMPRISE

Nous pouvons choisir d’ignorer ou de minimiser ce comportement si nous sommes
dépendants des compétences de cette personne pour concrétiser nos rêves de croissance. Elle
est devenue la clé pour gérer les aspects administratifs, techniques et relationnels nécessaires à notre rayonnement et à notre visibilité. Intentionnellement ou non, cela peut également impliquer l’utilisation de tiers pour effectuer des tâches délicates, telles que faire taire les opposants ou éloigner ceux qui posent des questions. De ce fait la personne va comprendre la possibilité de marchander sa bonne volonté et bénéficier de coudées franches pour exercer des phénomènes d’emprise sans être inquiétée.

Dans ce cas nous nous faisons manipuler, car les aptitudes de cette personne représentent aussi un idéal à nos yeux.

Il est indispensable de sonder et discerner nos intentions.

ÊTRE ATTENTIF AUX PHÉNOMÈNES DE CODÉPENDANCE

Les fantasmes et désirs de toute-puissance ne sont pas simplement issus de personnes mauvaises ou méchantes. Ce sont ces rêves encore bien actifs d’Église idéale qui nous envahissent avec une telle force que l’autre ne devient plus qu’un objet au service de nos rêves et projections. «Lorsque nos représentations de la vie en Église sont idéalisées, rêvées, embellies, lorsque l’Église est un concept théologique plutôt qu’une expérience humaine, nous n’arrivons pas ou plus à voir l’Église telle qu’elle est avec ses forces et ses fragilités, avec ses réussites et ses difficultés, avec ses serviteurs et ses dominateurs.(…)

«La présence de personnes en toute-puissance dit quelque chose à l’Église sur ses fonctionnements et ses dysfonctionnements, sur ses manières d’être au plan spirituel et ecclésial. L’exercice de la toute-puissance dans une communauté n’est pas seulement une affaire de relations défectueuses entre ces personnes ; la toute puissance s’installe et croît dans un contexte qui l’a rendue possible. »

Pour éviter ces écueils, il est indispensable de sonder et discerner nos intentions dès le départ, ainsi que de les revisiter régulièrement.

Marie-Christine Carayol. Auteure, activatrice de coopération et intervenante en thérapie sociale

Author: Matthieu Arnera